Les Couleurs du Péché
Culturellement, c’est bien sur le socle du péché que nous avons érigé nos lois. Sept de ces péchés sont même désignés comme « capitaux » voire… « mortels ». Heureusement, Yana Sinner a su garder un esprit suffisamment transgressif et décomplexé pour l’afficher en couleur sur son épiderme. Rencontre.
Texte : Arnaud – Photos : Martin Moog, Minu
Sept péchés capitaux. Sept promesses de damnation éternelle. Ouh, c’est effrayant ! Pas de bol, sur ces sept-là, il y en a un qui ne fait pas l’unanimité du moins, en ce qui nous concerne, Yana et moi. Oui, je confesse à voix haute, je ne considère pas celui de gourmandise comme la menace qui conduira mon âme en place de grève pour rôtir sur le bûcher de l’enfer des ascètes. Alors, qui donc est Yana Sinner (sinner : pécheur / pécheresse au sens relig. – anglais, ndlr), cette gourmande pécheresse à la chevelure de feu et au regard incandescent ? D’origine slave, vivant à Milan, Yana est mannequin photo professionnel, possède un diplôme de stylisme, se voit comme une Suicide Girl et se définit comme créatrice de contenu. Un contenu visiblement apprécié par ses plus de sept-cent mille followers sur Instagram ou TikTok. Lorsqu’elle n’est pas devant une caméra ou derrière un écran, elle dirige aussi une marque, sa marque de lingerie fine et de corsets tendance callente, sous l’enseigne Sinner Couture.
Geek Attitude
Son image est donc soignée, travaillée, capturée par d’excellents photographes pour le plus grand plaisir de ses abonnés mais, dans l’intimité – comme quoi l’habit ne fera jamais le moine, Yana se confie en riant : « j’adore tout ce qui est fait main, le DIY, des vêtements en passant par les meubles et, ce n’est vraiment pas la première chose qui vient à l’esprit des gens lorsqu’ils me regardent, mais… je suis une vraie nerd, une geek qui adore jouer au jeux vidéo, qui aime lire ou regarder des films en faisant des câlins avec Dymok, mon chat British Shorthair ! ». Cela fait donc maintenant une dizaine d’années que Yana exerce toutes ces activités. Lorsque l’on connait un peu le dessous des cartes du mannequinat, de ses codes ou de ses tristes obsessions, Yana, elle, s’en affranchit et assume pleinement son épiderme orné de motifs qui n’ont pas forcément de rapports entre eux, mais qui ont été parfaitement intégrés par les différents tatoueurs à qui elle a confié sa peau. Alors bien sûr, comme pour chacun d’entre-nous, il y eut la première fois, ce premier baiser encré sur le bras, la première morsure des aiguilles dans le cou. En ce qui concerne notre Cover Girl d’automne, c’est la vue du tatouage d’un camarade de fac qui fait office de déclencheur. Pour l’étudiante fascinée par les mannequins tendance fantastique, gothique ou rockabilly, c’est l’envie de donner une troisième dimension à ce qu’elle consulte au quotidien sur la toile mondiale. Elle se lance.
Dans le grand bain
Tandis que ses copines se font tatouer une hirondelle, Yana, elle, opte pour une chauve-souris sur l’intérieur du poignet. Jeune âge oblige, je lui pose la question de l’approbation parentale. Une réponse à l’image de sa personnalité et qui la fait bien rire : « J’étais majeure, je vivais dans une autre ville que la leur, j’étais indépendante et lorsqu’ils l’ont découvert pendant les vacances d’été, j’en portais déjà trois ! Ils en furent choqués mais malgré ma promesse de m’en tenir là, je suis retourné en faire d’autres dans les mois qui ont suivi ! ». Premières sessions, premières erreurs. Sans doute par manque de connaissance ou excès de confiance dans le premier tatoueur, elle dit : « après avoir réalisé que le premier n’était pas si bon que ça, j’ai fait faire les suivants par trois ou quatre autres artistes ; chacun étant meilleur que son prédécesseur et s’employant à réparer certaines erreurs voire couvrir d’anciens motifs. Ma dernière rencontre ? Simone Marchi du salon « Or Noir Gallery » (Lugano, Suisse). C’est lui qui a fait la couleur de la sirène sur ma jambe droite et ce tatouage est de loin mon préféré ». Comme une évidence que vous savez déjà, l’art du tatouage est un processus qui se mûrit. L’âge et la réflexion favorisent une démarche qui devra toujours s’appuyer sur le temps. Un parcours initiatique qui se tisse progressivement à la finesse des liners, à la couverture des magnums, aux rencontres en salon, aux visites sur les expos. Yana n’hésite pas à partager le fruit de sa propre expérience : « je retiens qu’il ne faut pas faire dans le cheap. Il est préférable d’économiser sérieusement et d’étudier le style et le professionnalisme d’un tatoueur plutôt que de répondre à une pulsion éphémère. C’est aussi réfléchir dans quelle mesure un nouveau tatouage viendra s’intégrer au précédent. Faites l’expérience du premier en gardant à l’esprit la possibilité de pouvoir le faire recouvrir facilement plus tard ».
Réfléchir avant d’agir
Pour les plus éclairés, un tatouage est une page graphique de sa propre histoire, visible ou cachée, un instant marquant, un propos personnel fort qui mérite l’encrage de son épiderme. Pour Yana, la progression entremêle le bleu, le turquoise, le rouge corail mais aussi les roses, les skulls, les ornements baroques et le processus est encore actif. Les minutes s’égrainent, je lui pose encore quelques questions. Je lui parle de mondialisation, de lissage global de la société. Elle m’expose son point de vue et pense que le tatouage a toujours été, peut-être aujourd’hui plus encore, un territoire d’expression unique et personnel : « dans un monde de tendances et d’idées fluctuantes, un tatouage est une représentation du permanent, la marque d’une personnalité, un moyen de s’identifier et de ne pas oublier qui l’on est ». Concernant le regard du monde posé sur les femmes tatouées, elle dit également : « dans un environnement artistique ou créatif, je dirais que c’est un plus. Lorsque tu travailles avec l’image de ton corps c’est un peu la marque qui t’identifie au sein du groupe et qui va susciter un plus grand intérêt de la part du public. Malheureusement, dans des environnements plus conventionnels d’emplois, ce n’est pas une vision partagée de tous et je subis, même en 2022, pas mal de discrimination ».
Carpe diem
Tandis que le jour tombe, je lui pose une dernière question : alors Yana, es-tu une pécheresse !? Pas d’hésitations dans sa réponse : « ce surnom vient de mes années bien déjantées du gothique, du rockabilly mais oui, au fond de moi, je suis une pécheresse et tu sais où et comment le voir sur moi ! ». Nous rions et je lui laisse le mot de la fin : « soyez vous-même sans aucune réserve du moment que cela ne blesse ni vous, ni votre entourage. Faites ce qui vous rend heureux dans la vie et le reste suivra et, si vous lisez ces quelques lignes, venez me faire coucou sur Insta ! ».
Instagram : @yanasinner
Lingerie & Corsets : sinnercouture